Aujourd'hui, j'ai bien eu envie de dégommer de la bourgeoise.
Et quand je dis dégommer, le mot est faible... Si j'avais pu la mettre à la porte, en lui priant d'aller snober un autre vétérinaire, ou de se débrouiller pour traiter son chien toute seule puisqu'elle sait mieux que moi ce qu'il a.
OK, je suis un peu dure mais bon, replaçons le contexte dans le contexte.
Cette semaine, j'aurai bossé au total une soixantaine d'heure (si on ne prend pas en compte le fait que je ne suis jamais partie à l'heure). Tous les jours, j'ai dû manger debout et à la va-vite un sandwich (pas à midi mais vers 15h) entre deux consultations, en veillant à ne pas trop sentir le thon ou la mayo en reprenant la suite des consult.
Il n'y a qu'aujourd'hui que j'ai eu le temps d'aller moi même à la boulangerie d'à coté pour m'acheter à manger, et que j'ai pu m'asseoir, et ce pendant au moins 10 minutes sans être dérangée, pour manger.
Je commence habituellement à 9h, mais deux matins de suite j'ai du venir à 8h45 (oui bon, on ne se moque pas, un quart d'heure de sommeil, c'est crucial) pour un rendez vous particulier avec des injections à cette heure précise, et avant les consultations du matin (ne me demandez pas pourquoi cette heure là et pas 9h, je ne le sais pas moi même).
Mon seul temps libre (le lundi après midi), je l'ai passé à quêter pour la croix-rouge (c'est la quête nationale cette semaine, jusqu'à vendredi soir minuit). J'ai été ravie de le faire et d'apporter ma petite contribution à cette quête qui est primordiale pour les dépenses de l'année à venir (entretien du matériel et des véhicules de secourisme, achat de nourriture pour les personnes démunies, etc...) , cela dit je suis rentrée à minuit passé, les pieds en méga- compote, épuisée, et avec ce que j'ai décidé de nommer "la tendinite du quêteur" (induite par mon passif de poignet fragile, et aggravé par le fait d'avoir porté toute la soirée un de ces fameux "tronc" de quête qui commençait à peser assez lourd en fin de soirée) et "l'ampoule du quêteur" sur le côté de l'index qui étant en contact avec le manche du Tronc.
J'y suis aussi retournée hier soir de 21h à minuit, directement en sortant du boulot (avec l'énergie du désespoir peut être, je ne sais pas à quoi j'ai carburé, cela dit j'ai été moins efficace qu'en début de semaine... bref)
Conclusion: je suis comme une âme épuisée dans un corps qui tient le coup malgré lui. je n'ai qu'une obsession: pouvoir me poser et ne rien faire, ne pas penser à mes cas de médecine en cours, et pouvoir me dire "demain, je ne me lève pas!"
Donc forcément, la fatigue fait que je n'étais pas au meilleure de ma forme pour prendre sur moi face à une grognasse qui croit tout savoir et me parle comme à une vulgaire sous-employée... ou non, soyons fou comme à un chien qui vient de faire une bêtise.
Cette après midi je reçois donc en consultation une dame, propre sur elle, la cinquantaine bien passée, teinte en blond clair, la coupe au carré, bien raide et sans volume, et avec un rouge à lèvre bien rouge, qui ressort tel une trace de sang sur un beau chien blanc.
Son chien est blanc d'ailleurs, mais sans rouge à lèvre. Une espèce de petit bichon. Gentil.
L'ASV me préviens "en salle d'attente t'as Madame Machin, je te préviens, c'est une chieuse, et Madame truc, elle, elle est adorable". Je suis débordée, pas le temps de tergiverser, donc j'y vais d'un pas décidé, me disant qu'avec cette semaine de bouse, rien ne peut de toute façon me tapper plus sur les nerfs que ma fatigue chronique.
J'avais tord.
Elle arrive en me disant d'un ton ferme: "bon, je viens parce que mon chien fait un oedème pulmonaire".
D'habitude je fouine le dossier avant de faire entrer la personne mais là j'ai maximum 15-20 minutes par consult, donc j'enchaîne, et donc, pour aller plus vite, je lui demande ce qui lui fait dire ça, si sa chienne est déjà suivie pour un problème cardiaque, et si oui, quel traitement elle prend en ce moment et à quelle dose.
En plus, vu la liste des consult, je n'ai pas envie de m'emmerder à chercher une aiguille dans une botte de foin, parce que sur l'écran de l'historique médical, on ne voit pas tout ce qui pourrait être important si on ne clique pas sur chaque ligne de consultation l'une après l'autre (et je ne vais pas cliquer 20 fois de suite, pour avoir une info qu'elle peut me donner en 5 minutes), en plus pas de bol, car dans l'encart réservé à cet effet, rien n'est signalé sur une éventuelle pathologie cardiaque, ni un traitement au long court, et le dossier étant long, je n'ai pas réussi à accéder aux "archives" au premier clic.
Qu'avais-je donc fait là !!!
Miséricode!!!! Je venais, sans le savoir, d'activer le mode chieuse compulsive à tendance snobinarde et hautaine.
"Quoi ! mais bien sûr qu'elle a un dossier, elle est suivi ici depuis 14 ans"
"oui ça je sais, mais je voudrais savoir si elle a un traitement pour son coeur"
"Mais bien sûr !!! Non mais attendez, ça fait des années qu'elle est sous-traitement"
"euh, oui, mais je ne vois rien ici qui précise quel traitement elle reçoit en ce moment"
"euh, je crois que vous devriez réviser un peu hein!"
"Réviser? Dites donc, vous n'êtes pas obligée de me parler sur ce ton là"
"ben excusez moi, mais vous dites qu'il n'y a rien de noté, alors bon, quand même!"
"il n'y a effectivement rien d'indiqué sur ce que je vois là, ce n'est pas moi qui ai rempli toutes les consultations précédentes, je ne suis donc pas responsable de ce qui a été notifié ou non."
"c'est que vous ne regardez pas bien, elle vient là depuis 14 ans, alors cherchez dans les archives, je n'sais pas moi"
j'avais envie de lui dire que je n'en voyais pas l'intérêt, surtout juste pour traiter un OAP (c'est pas si compliqué, peu importe le jour de sa naissance et la phase de la lune ce jour là), bref, je marmonne un OK et je lui dis 'bon, si vous voulez, je vais demander à mon assistant" et je rajoute avec agacement "histoire de perdre un peu plus de temps"
"oui oui, demandez lui !"
Manque de bol, elle avait raison, je ne connais visiblement pas encore assez bien le logiciel, c'est pourquoi je n'avais pas réussi à trouver les vieilles consult... bref.
Tout ça (alors que j'avais du monde qui attendait en salle d'attente), pour savoir que le chien était sous Benazepril, Pimobendane, et Spironolactone. Et que cela avait été prescrit à l'aveugle vu qu'il n'avait jamais passé d'écho cardio (ou alors ce n'est pas noté et en plus Madame ne s'en souviens pas). Bref, rien de super utile pour savoir comment traiter ce chien aujourd'hui.
Donc, j'examine ENFIN le chien, il a bien un méga souffle au coeur, respire normalement (bon il halète un peu, mais vu la chaleur et son excitation, c'est normal), et pas de bol pour elle, je n'entends pas de crépitements...
Je lui dit donc que je n'entends pas de crépitements, et que c'est pas un oedème pulmonaire qui le fait tousser.
"ah si ! je sais quand même reconnaître quand mon chien fait de l'oedème !"
Je soupire et réécoute un peu, histoire d'être sûre de mon coup.... et pouvoir l'envoyer bouler avec ses certitudes.
Et là, son téléphone sonne, et bien sûr, Madame décroche. Et voilà qu'elle s'empresse de sortir de la salle de consult pour papoter avec un certain Docteur ("oui, et bien voyez-vous, je suis chez le vétérinaire avec mon chien, blablabla) et me laisse seule avec toutou...
Ne me laissant pas distraire, j'en profite pour ausculter au calme et en fermant correctement la gueule du chien. Et je suis formelle, je n'entends vraiment aucun crépitement, donc s'il y a un oedème il est minime et ne peut pas le faire tousser autant qu'elle me le décrit.
Je me dit alors que je lui laisse deux minutes pour revenir, car sinon je prend le client suivant dans la deuxième salle de consultation et la fait attendre jusqu'à la fin des RDV.
Malheureusement pour mon plan machiavélique, elle revient assez vite.
Je lui demande comment est la toux (sèche, grasse?, quinteuse?), elle me regarde comme si ma question était débile (genre, le stétho devrait suffire, puisque elle, déjà, sans stétho, elle sait ce qu'il a).
Elle mime une toux sèche (elle n'a pas su dire si c'était une toux sèche ou grasse... cette brave dame qui se croit si intelligente)
Elle me dit que c'est comme la dernière fois que son chien a eu un OAP (les vétos précédents sont ils allés dans son sens pour avoir la paix??? après tout, dans l'historique je constate qu'il a eu des diurétiques mais aussi des corticoïdes la fois en question...), bref, elle est là en train de me regarder comme une nullasse, une incapable, avec à côté son chien soit-disant les poumons plein d'eau mais qui saute comme un fou, aboie pour partir, et court autour d'elle....
Et là, à ce moment précis, je l'entend effectivement tousser.
Toux sèche, assez forte, quinteuse.
"Ah ! vous voyez ! je vous avez dit qu'il toussait !"
"oui, et bien ça ne ressemble pas du tout à la toux qu'on rencontre lors d'oedème pulmonaire ! " (et vlan ! prend toi ça dans la tronche)
"ahhhh..."
Je commence à préparer une petite injection pour cette toux d'irritation avec quand même un diurétique à toute petite dose au cas où. Sa toux vient sûrement du fait qu'il doit avoir un coeur énormissime qui doit comprimer les bronches souches, et peut être une petite flaccidité trachéale associée qui n'aide pas.
Je lui explique tout ça, pourquoi il tousse, et le traitement que je prépare.
"Mais, vous allez traiter son oedème quand même? Je suis sûr qu'il a de l'oedème moi."
"je vous dis qu'il n'a pas d'oedème pulmonaire, mais bon, c'est vous qui savez après tout, c'est vous la vétérinaire!" lui dis-je avec l'ironie
Et là, je m'attendais à un "non, non, c'est vous qui savez".... et bien non... je n'étais pas au bout de mes surprises. Pas du tout déstabilisée elle me répond aussitôt:
"ben oui, je suis vétérinaire !" (là j'ai eu un instant de doute, à me dire, mais qu'est ce qu'elle raconte, pourquoi elle vient me voir si elle est véto, mais finalement, c'était encore une bouffée délirante), "et oui, je connais mon chien depuis 14 ans, alors forcément je sais m'en occuper quand il est malade"
GRRRRRRRR
"dans ce cas, je ne lui fait pas le traitement alors ! "
"Mais euhhh.... si si, faites, faites !"
Héhé ! ONE POINT !
Elle me dit aussi en passant qu'il fait pipi du sang, un peu comme si elle me dirait "tient il fait chaud chez vous".
Je lui dit que je vois dans son dossier qu'il a déjà eu des problèmes de prostate et que ça peut venir de cela.
"Mais non !!! pas sa prostate!!" (ahhh désolée, à un moment donné j'ai cru que c'était moi la véto!)
Heureusement pour moi, elle comble mes lacunes en expliquant que "c'est à force de prendre des diurétiques qu'il fait pipi du sang car cela lui bousille les reins"
Mes yeux parcourent le dossier à la recherche d'une info utile et je rajoute sans faiblir:
"Une insuffisance rénale ne donne en général pas d'hématurie, je pense plutôt qu'il a du sang dans les urines à cause du calcul de 5 cm de diamètre qui a été trouvé (et qui se trouve toujours) dans sa vessie (merci le dossier)"
Elle me répond avec enthousiasme, comme si cette petite (énoooorme) particularité (problème) l'amusait :
"oh oui, oh oui ! il a un gros calcul dans sa vessie, on peut même le sentir à la main dans son ventre !!!"
Génial !!!! C'est sûr qu'il a de quoi être fier !!!!
Bref, après pas mal de blabla bien inutile puisqu'elle est de toute façon persuadée de mieux savoir que moi de quoi elle parle... Elle fini par accepter le traitement.
Comment lui faire comprendre que ce n'est pas parce qu'elle a nourrit kiki pendant 14 ans et qu'elle lui fait avaler des comprimés tous les jours, qu'elle peut me snober moi et mes maigres connaissances acquises en 6 petites années d'études et en 4 années de boulot à ne faire que ça tous les jours....
Cela dit, à quoi bon, ça ne sert à rien de parler à un mur, alors pourquoi se fatiguer... C'est ça qui est usant, c'est que même si mon traitement fait ses preuves, elle ne changera pas d'attitude. Elle sera toujours aussi chiante, et hautaine.
Je crois que le moment le pire, c'est quand devant l'ASV à l'accueil, au moment de régler et alors que je lui disais au revoir et lui souhaitais malgré moi une bonne soirée, elle m'a sorti avec un sourire niaiseux "merci pour votre gentillesse"
J'avais bien envie de lui répondre que pourtant elle ne la méritait pas. Oui car je précise qu'en dehors de mes quelques réflexions un peu sèches, j'ai gardé le sourire et l'amabilité constante d'une vétérinaire... juste salariée, et surtout très fatiguée (pas le temps, et pas la force de lutter ! )
Je suis partie un peu crispée, agacée et haineuse, mais surtout navrée d'avoir fait attendre les gentilles clientes à cause d'une grognasse pareille.
J'espère que son chien ira bien, parce que je n'ai aucunement hâte de la ravoir celle là !